Raconter le monde : l’art de la narration de Philippe Pujol
Marseille est bien plus qu’une toile de fond pour lui, c’est une source d’inspiration, un terrain d’observation et une muse. Journaliste, écrivain, réalisateur de documentaires et de podcasts, Philippe Pujol a de multiples talents et aime se définir avant tout comme un « auteur et narrateur du réel ». Ses œuvres, qu’elles soient écrites ou filmées, plongent au cœur des maux de notre société, racontant le monde avec une curiosité insatiable et un regard affûté.
À travers son entreprise, L’Arc et la Plume, il explore la narration sous toutes ses formes, tissant des liens entre l’écriture, la création artistique, l’engagement et l’entrepreneuriat. Alors qu’il vient de faire paraître Cramés, son dernier roman, rencontre avec un témoin éclairé de notre époque, client de notre cabinet marseillais, qui façonne le réel et transcende les frontières de la communication classique.
Vous êtes une figure incontournable à Marseille, et au-delà, avec de multiples casquettes : journaliste, écrivain, réalisateur de documentaires et de podcasts… Comment vous présenteriez-vous à ceux qui ne vous connaissent pas encore ?
En effet, j’ai plein de casquettes mais ce qui unit l’ensemble, c’est le côté auteur et narrateur du réel. Je réalise assez peu d’interviews. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est raconter le monde. Déjà parce que je l’observe moi-même, par jeu. Ensuite, par curiosité personnelle. Enfin, pour partager tout cela. Donc je suis écrivain, ça c’est sûr. Réalisateur, je le suis aussi. Un peu moins journaliste notamment car je n’en ai plus le statut officiel.
Pour mener à bien toutes vos activités, vous avez également revêtu une casquette d’entrepreneur ?
J’ai aussi une entreprise, L’Arc et la Plume, qui fait de la narration pour des clients assez variés. Une agence de communication en quelque sorte, mais je préfère le terme de contenu. Je propose une approche journalistique ou de narration sur des sujets bien précis et je m‘adresse aux entreprises. C’est pour cela que je ne veux pas travailler avec n’importe qui. Avec cette casquette d’entrepreneur, je souhaite « raconter le monde » pour des publics plus spécifiques. Par exemple, lors de ma première collaboration avec l’OM, j’ai réalisé un film, L’OM sans confession, sur l’inclusion que permet le club dans une ville comme Marseille, ville complexe et diverse.
À quel moment avez-vous décidé de créer cette entreprise ?
Elle naît courant 2017, mais elle se met à exister véritablement début 2018. Je souhaitais travailler avec d’autres personnes, pour d’autres contacts que ce que j’ai ordinairement. D’habitude, je travaille pour une maison d’édition pour un livre, pour une boîte de production pour un film, et quand je fais quelques piges, pour des journaux. L‘idée avec L’Arc et la Plume, c’est d’explorer d’autres sujets, avec d’autres personnes, à travers du financement privé, avec des gens qui ont un intérêt à raconter quelque chose.
Quelle est la signature de L’Arc et la Plume ?
L’idée n’est pas de proposer un énième média mais une maison de la narration : « l‘Arc » pour le narratif et « la Plume » pour l’écriture. Pour moi, le point central, c’est raconter. Et bien souvent, on met en avant les tuyaux, pas ce qu’il y a dedans, alors que le contenu est plus important que le diffuseur. Malheureusement aujourd’hui, c’est au créateur de contenu d’absolument s’adapter aux diffuseurs et ça ne permet pas la créativité. C’est une des raisons pour lesquelles il y a pratiquement que des mauvaises séries faites par les Français en France. Il devrait y avoir une économie du contenu et non pas du média.
Alors comment vous y prenez-vous ?
J’ai essayé de penser les choses un peu à l’envers en me disant, « faisons un bon contenu, comme une maison de luxe », c’est-à-dire du personnalisé, du sur–mesure. J’ai beaucoup travaillé avec des hôpitaux et des associations du milieu de la santé, et de temps en temps avec des boîtes qui ont envie de faire quelque chose de différent. Mais généralement, les grosses structures préfèrent de la com’ pure et dure, que je considère très souvent comme ringarde, utilisant « Impactant » à tout bout de champ ; un mot que je fuis instantanément.
Quel est le modèle économique ?
Aujourd’hui je n’ai pas de salarié, uniquement des gens qui font soit des cachets, soit des piges, soit du droit d’auteur. Moi-même, je ne me paye pas avec L’Arc de la Plume, pas un centime car ce n’est pas le but. C‘est un secteur très compliqué, sachant que je ne vais pas chercher d’aide publique parce que c’est un métier à part entière que je ne maîtrise pas. Je suis toujours là en 2024, ça fait déjà 6 ans et c’est déjà beaucoup, avec une progression même si on n’est pas dans des chiffres d’affaires mirobolants.
Dans votre fameux travail de narration, tantôt vous allez choisir le roman, ensuite un article de presse, tantôt un documentaire… Connaissez-vous d’avance le médium qui va être associé à l’histoire que vous voulez raconter ? Est-ce l’opportunité ou le choix qui vous guide ?
La plupart du temps, c’est un choix. Tu ne vas pas raconter pas la même chose : un roman, c’est quelque chose de très dense, avec beaucoup d’informations. Un documentaire ou un film, c’est quelque chose avec peu d’informations ; même dans un documentaire qui a l’air dense, il y en a peu. Mais tu vas toucher beaucoup plus de monde, des gens qui ne lisent pas. Le but ici, c’est d’avoir des messages clairs et de jouer sur le sensible et l’émotion. Le livre, c’est la complexité et pas forcément l’émotion, car c’est plus dur. Un bouquin s’intéresse surtout aux interactions entre les événements, entre les thématiques, entre les personnages.
Ces différences sont-elles également mesurables ?
Les rapports sont incomparables. Si je prends La Fabrique du monstre, le livre que j’ai le plus vendu, on atteint 130 000 ventes. Péril sur la ville a été vu par 7 ou 8 millions de personnes. Et Dans les yeux des miens, sur l’OM, ça doit être 12 ou 13 millions. Un livre best-seller ne fait rien par rapport à un film qui n’est même pas un succès monumental. Donc réaliser un film, c’est avoir ça en tête. Tu sais que tu vas toucher des gens qui ne te liront jamais. Ils s’en foutent, ils n’ont pas envie, ils n’aiment pas, et surtout ils ne vont pas payer. Et puis même si on le leur donnait, ils n‘en feraient rien. Alors qu’un film, c’est une consommation différente.
Philippe Pujol en 2014, lauréat du prix Albert-Londres pour sa série d’articles « Quartiers shit » sur les quartiers nord de Marseille.
Crédits photo SERGE POUZET/SIPA.
Qu’en est-il du format audio ?
J’ai fait pas mal de podcasts avec L‘Arc et la Plume. Avec Anne-Sophie Lebon, nous avons réalisé Juste là pour le Mucem. Un podcast sur le handicap qui s’appelait Nous autres avec l’ARI. Également un format sur les mineurs non accompagnés à Marseille. Un autre, Street Médoc’, sur les faux médicaments en Afrique. Dans ces trois cas de figure, L’Arc et la Plume a produit tandis que Binge, un média, était le diffuseur. Avec les podcasts, tu touches une autre partie de la population, des auditeurs attentifs, capables d’emmagasiner beaucoup d’infos et tu peux jouer aussi sur un côté un peu plus incarné, c’est à dire émotionnel et donc c’est un peu plus accessible qu’un livre.
Vous venez de faire paraître Cramés : Les enfants du Monstre aux éditions Julliard, qui vient conclure une trilogie après La Fabrique (en 2016 aux éditions Les Arènes) et La Chute du Monstre (en 2019 aux éditions du Seuil). Quelle est l’ambition de cet épilogue ?
Pour finir, j’ai voulu revenir au terrain, au réel, à ce qui se passe dans la vie de certaines personnes dans cette ville, mais aussi partout en France. Je raconte depuis Marseille mais ce que je raconte n’est pas Marseillais. C‘est quelque chose qui se voit bien à Marseille, ce n’est pas la même chose.
Dans le premier livre, je fais le récit des systèmes, des interactions qui régissent les problèmes de la société marseillaise. C’est ce que j’appelle le Monstre. Mais ce n’est pas Gaudin, ce n’est pas Guérini. Eux, ce sont des alliés, les soldats du Monstre. Le Monstre, ce sont les imperfections, les dysfonctionnements de notre République et de nos institutions. Tous ces comportements, j’essaye de les lier pour montrer qu’en fait, les règlements de comptes ont aussi un lien avec l’immobilier, le monde politique, syndical, etc. Le Monstre, c’est Frankenstein : des morceaux de magouille à deux balles qui, les unes avec les autres, vont devenir un grand truc.
Dans le deuxième, je raconte comment ce Monstre-là est allé tellement loin qu’il est en train de s’effondrer. Non pas qu’il va mourir, il ne disparaîtra jamais, mais parce qu’il est en train de disparaître sous cette forme–là. C’est le moment où il faut achever les soldats du Monstre. La Chute du Monstre est un pamphlet avec un objectif : faire tomber les bébés Gaudin. Un objectif politique revendiqué et assumé dès les premières lignes, faire chuter ceux qui sont la cause du déclin de la ville et des morts directs que ça a pu occasionner. Les 8 disparus du 5 novembre et bien d’autres encore. Il y avait une sorte d’écriture en urgence. J’ai écrit ce livre rapidement avec une série de chapitres courts pour que ce soit facile à lire.
Le troisième s’écrit et se lit comme un roman. C’est l’histoire croisée de 4 jeunes que je suis depuis très longtemps et pour qui ça va aller toujours plus mal, page après page. Sauf que malheureusement, ce n’est pas un roman, tout est vrai. Tout ce que j’ai raconté dans La Fabrique et dans La Chute, génère ces enfants-là, les « enfants du Monstre » : les Cramés. On les perçoit comme des salopards, des pauvres mecs ou des débiles alors qu’en fait ils sont une fabrication. La délinquance, et particulièrement la petite délinquance, c’est le cadre de la société, ce qui délimite le légal et l’illégal, les problèmes que l’on fabrique. Ce que j’appelle moi les vulnérabilités. Donc c’est un livre sur les vulnérables et le Monstre exploite leurs faiblesses. Le but du jeu, c’est de trouver quelqu’un qui a une vulnérabilité pour l’utiliser. Le monde de l’entreprise ou politique le fait de temps en temps, le monde délinquant le fait tout le temps. Je raconte tout ça dans mes bouquins : l’exploitation des vulnérables.
Cette thématique de la vulnérabilité, vous la portez personnellement ?
Je plaide pour une amélioration économique dans cette ville et dans notre pays, pour qu’il y ait un travail social fort auprès des gens vulnérables. Je considère que s’il y a moins de vulnérables, ou si les vulnérables sont moins vulnérables, on aura moins de soucis. Le problème, c’est qu’ils sont dans des conditions socio-éducatives qui sont proches du néant.
Je suis en train d’essayer avec L’Arc et la Plume de créer un observatoire des vulnérabilités. C’est-à-dire un établissement qui recense les vulnérabilités par thématique : santé, éducation, parentalité, etc. Et surtout, qui les racontent de façon narrative pour faire prendre conscience des problématiques et donc des solutions qui peuvent arriver. Je veux qu’on sorte de ce monde où il y aurait des gentils et des méchants et où les méchants en voudraient aux gentils. En fait ce n’est pas ça ; tout le monde est gentil au début et petit à petit la société va séparer les choses et même à l’échelle d’une vie il y a des mouvements qu’il faut essayer de comprendre.
Comment avez-vous rencontré le cabinet Mosselmans ?
J’étais dans un autre cabinet avant et j’étais accompagné de façon très classique. J’étais une toute petite boîte au milieu de très grosses boîtes, dans un très gros cabinet, vraiment immense. Il me fallait un comptable, j’avais un comptable. Le monde des mutuelles est important pour moi. Dans mes fonctions, je suis retrouvé administrateur du Crédit Mutuel, d’une caisse qui s’appelle La Phocéenne, et un jour je rencontre Jean-Marc, le père de Boris Mosselmans, qui est au Conseil de surveillance et on discute comme un lecteur avec son écrivain. Mais aussi sur le métier d’expert-comptable, sur le fait que c’était un peu plus que simplement faire des bilans. L’année suivante, je suis allé chez eux.
Le cabinet m’accompagne sur pas mal sur un truc que je ne sais pas du tout faire, comme la gestion de tout l’aspect paie et RH. Ce sont eux qui font tout, ils le font bien, ils le font vite, ils le font quand je leur demande.
Avec qui travaillez-vous et sur quel périmètre ?
J‘ai plutôt affaire à Boris, avec qui on se rencontre une à deux fois par an avec qui j’ai toujours plaisir à discuter, de tout de rien, et de ma boîte aussi. Il m’accompagne sur pas mal de trucs que je ne sais pas du tout faire, comme la gestion de tout l’aspect paie et RH. Même si je n’ai pas de salarié, de temps en temps je fais travailler des gens. Ce sont eux qui font tout, ils le font bien, ils le font vite, ils le font quand je leur demande. Il y a aussi l’URSSAF. Des gars comme moi, un peu dilettantes, oublient souvent ce qu’il faut faire. Ils le prennent en compte car ils savent bien qu’ils ont affaire à un écrivain, qui ne comprend rien, et très gentiment, ils font le nécessaire.
Quels sont vos projets pour 2025 ?
Je suis associé à une autre société qui fait de la formation à l’interculturel dans laquelle je vais proposer de la formation à la narration. Le format est très concret : comment raconter une histoire ? Que ce soit à l’échelle d’un mail, d’un livre, d’une série ou n’importe quoi. Cette activité ne me paiera pas mais paiera L‘Arc et la Plume pour que je puisse produire d’autres choses. J‘attends donc des conseils du Cabinet Mosselmans pour réussir cette étape.
C’est un monde dont j’ignore tout. Si le cabinet devait prendre mes feuilles d’impôt, ils seraient morts de rire parce qu’ils me diraient que j’aurais pu économiser beaucoup d’argent et c‘est fort possible, j’en suis persuadé. Je suis de ceux qui ne connaissant rien, payent plein pot. À l’échelle de l’entreprise, j’attends d’eux de travailler ensemble sur l’approche fiscale et même stratégique. C‘est un domaine que je ne connais pas, mais j’apprends à leurs côtés car je suis vraiment dans mon domaine d’incompétence absolue !
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